mercredi 18 avril 2012

3 en Un, la sculpture, Espace d'art contemporain Camille Lambert, Juvisy sur Orge

avec Samuel Aligand et Jérémy Berton
une proposition de François Pourtaud
du 10 mars au 14 avril 2012

en partenariat avec Le Générateur à Gennevilliers et la MAAC à Fresnes







Bas relief n°3
2012
pvc souple
250 x 190 x 30 cm






A tour de bras n°3
2011
acier peint, élastomère
220 x 120 x 90 cm



Rumeur en froissement n°6
2011
pvc souple, élastomère
110 x 110 x 45 cm






Un verso d'une page
2011-2012
médium, pvc souple
360 x 168 x 115 cm
produit par Netwerk, centre d'art contemporain, Aalst

toutes photographies de Laurent Ardhuin

 « Le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme »[1]
Edgar Degas
Il ne faut pas se fier aux apparences. Pierre-Alexandre Remy n’est pas un sculpteur… C’est, un dessinateur, un dessinateur qui a réussi à s’abstraire du cadre étroit de la surface plane pour investir les trois dimensions de l’espace… Et peut-être plus, comme nous le verrons plus tard… Le résultat de son travail n’est pas une forme, mais une manière de percevoir la forme. Il est signe, marque porteuse de sens, conjonction d’un signifiant et d’un signifié. Le signifiant y prévaut cependant sur la forme signifiée, illustrant pleinement le propos de Focillon : « Le signe signifie alors que la forme se signifie. »[2]
Chez lui, la ligne, active et intrusive, n’est jamais asservie au modèle, physique ou mental. Elle reste sous le contrôle de l’artiste, seul maître à bord, décisionnaire unique pour guider l’œil du spectateur dans un voyage dont l’incertitude n’est réelle que pour le regardant. Ses chemins sont balisés mais seul l’artiste sait où ils mènent. Pas de redondance, comme dans les arabesques matissiennes, pas de fioritures mécaniques, comme chez les néo-baroques, pas de place pour l’irréfléchi, encore moins pour l’inconscient… Et quand la couleur fait irruption, elle résulte d’une nécessité interne, souvent liée à la nature du matériau utilisé, plus que d’une quelconque volonté illusionniste.
Pierre-Alexandre Remy se revendique pourtant sculpteur. Selon lui, ce qui distingue le dessinateur du sculpteur, c’est l’importance du matériau assujetti à la gravité : « si je n’étais pas sculpteur, cette question de la matérialité serait de moindre importance. Ce qui différencie le sculpteur du dessinateur c’est l’assujettissement à la gravité. »[3] Pourtant, sa démarche n’est ni additive ni soustractive ni ne procède par assemblage de structures préexistantes. Elle ne recourt à aucun des trois procédés historiques qui caractérisent la sculpture. Bien sûr, les matériaux y jouent un rôle crucial, mais n’en est-il pas de même chez le dessinateur qui saura choisir entre le pastel, le fusain ou la mine de plomb selon ce qu’il veut exprimer ? Les matériaux, chez notre sculpteur peuvent être des bandes d’acier brut ou laqué, des fragments de chaînes métalliques, des rubans d’élastomère… toujours des lignes, certes d’épaisseurs, de textures, de flexibilités et de souplesses différentes, mais des lignes, cependant.
Les liaisons entre les différentes lignes matérielles, les attaches, sont de toute première importance. Toujours visibles, que ce soient des soudures, des rivets ou des plaques métalliques boulonnées, elles sont parties intégrantes de l’œuvre. Elles jouent, en quelque sorte, le rôle de la mauvaise conscience ou d’un rappel à l’ordre apportant un contrepoids matérialiste au risque d’hédonisme d’une ligne continue, trop parfaite. Elles se comportent comme les repentirs, les traces de gommage ou les restes de mise au carreau de certains dessins. Ces attaches bien présentes sont des postes-frontière, points de passage obligés, entre le monde de la création pure et la réalité tangible.
Dessins en trois dimensions, les productions de Pierre-Alexandre Remy sont aussi des génératrices de nouveaux dessins, plans, ceux-ci. En interagissant avec la lumière, ses sculptures projettent au mur et sur le sol des ombres qui constituent des œuvres à part entière. Ces graphismes incorporels, aux formes changeantes selon l’éclairage et la position du spectateur, confèrent à l’ensemble une quatrième dimension, temporelle, qui intègre le mouvement, non pas à la manière de Calder ou de Takis, mais de façon plus indirecte, plus subtile, laissant la plus grande part d’initiative à l’observateur. Mais, là aussi, l’artiste ne veut rien laisser au hasard. Sous forme de boutade, Dalí déclarait : « Le moins que l’on puisse demander à une sculpture, c’est qu’elle ne bouge pas. »[4] Et bien, qu’il le veuille ou non, les sculptures de Pierre-Alexandre Remy bougent, mais dans un espace qui est celui d’une quatrième dimension immatérielle. On pense à ces modèles cosmographiques mécanisés, où des courroies, des poulies et des manivelles permettent de matérialiser les mouvements absolus et relatifs des planètes dans le système solaire.
Dessinateur ou sculpteur ? De guerre lasse, on finira peut-être par concéder à Pierre-Alexandre Remy qu’il est aussi sculpteur. Mais seulement dans la mesure où il est un de ces nouveaux mystiques, chercheurs insatiables de la quatrième dimension, qu’affectionnait Karlfried Graf Dürckheim : « Ce que nous montre […] le sculpteur n’est pas ce qu’on voit autour de nous. Ce que nous voyons voile la profondeur qui est à l’origine de la forme. […] L’artiste dévoile la profondeur. C’est parce qu’il prend du recul par rapport au visible qu’il est proche de l’invisible.»[5]

Louis Doucet, février 2012




[1] Cité par Paul Valery dans Degas Danse Dessin.
[2] In Vie des formes.
[3] In correspondance de l’artiste à l’auteur.
[4] In Les cocus du vieil art moderne.
[5] In L’expérience de la transcendance.